Adamantia Research Institute
Synthèse des échanges de notre table ronde Taxonomie Européenne, le 4 Mars 2021
Participants : Asset Managers
Les investisseurs ont accru leurs efforts pour mieux intégrer le changement climatique et le développement durable dans leurs décisions d'investissement et dans leurs pratiques d'allocation de portefeuille. Toutefois, ces efforts doivent être confrontés à une incertitude généralisée quant à la durabilité environnementale de divers types d'investissements et d'activités économiques. En réponse à ce besoin, plusieurs juridictions ont commencé à légiférer pour créer des réglementations définissant la finance durable. Parmi elles, l'Union Européenne a créé un règlement visant à simplifier les investissements durables : la Taxonomie Européenne.
Adamantia a organisé une table ronde qui a accueilli plusieurs Asset Managers de la place financière, afin d’échanger autour du sujet de la taxonomie européenne et de ses enjeux.
QU’EST-CE QUE LA TAXONOMIE EUROPÉENNE ?
La Commission européenne définit la Taxonomie Verte, une méthodologie de classification commune, permettant d'identifier les activités écologiquement durables et d'orienter et de mobiliser les investissements privés vers la neutralité climatique en 2050.
Cette taxonomie a été conçue pour garantir l'égalité de concurrence et la sécurité juridique pour tous les acteurs des marchés opérant au sein de l'UE. Le règlement suit l'objectif de Green Deal et a les objectifs clés suivants :
Réorienter les flux de capitaux en mettant l'accent sur les investissements durables ;
Faire de la durabilité une partie intégrante de la gestion des risques ;
Promouvoir/encourager l'investissement et l'activité économique à long terme.
En conséquence, tous les acteurs des marchés financiers dans l'UE doivent indiquer comment et dans quelle mesure leur activité économique inclut, promeut ou finance des projets durables selon les critères de la taxonomie européenne.
QUELS SONT LES PRINCIPAUX ENJEUX POUR LES ACTEURS DE LA GESTION DE PORTEFEUILLES D'INVESTISSEMENT ET LES SOLUTIONS À ENVISAGER ?
Les acteurs des marchés financiers offrant des produits verts dans l’UE seront dans l’obligation de publier des informations précises concernant leurs produits d’investissement durables. En particulier, ils devront indiquer les objectifs environnementaux ; la proportion des investissements sous-jacents qui sont alignés sur la Taxonomie, exprimée en pourcentage de l’investissement, du fonds ou du portefeuille ; la répartition entre les activités dites « de transition » et « habilitantes » et la méthodologie appliquée pour mesurer la conformité des activités.
Les participants à la table ronde ont partagés leurs points de vue sur les principaux enjeux auxquels sont confrontés les acteurs de la gestion de portefeuilles d'investissement, selon cinq axes majeurs : réglementaire, data, méthodes, modèle opérationnel et business.
1/ RÈGLEMENTAIRE
L'un des principaux enjeux qui ressort est la capacité à naviguer dans la complexité du règlement sur la taxonomie, qui laisse de grandes marges d'interprétation, notamment en ce qui concerne la combinaison des critères. En outre, le texte reste vague dans sa définition des critères DNSH (« do no significant harm »), c'est-à-dire des critères visant à démontrer que les activités qui contribuent de manière significative aux objectifs environnementaux autres que l'adaptation ne causent pas de "dommages significatifs" à l'adaptation au changement climatique. Enfin, les taux de couverture des actifs émis restent faibles : à titre d'illustration, moins d’un tiers des revenus des entreprises composant les indices CAC40 et DAX30 sont éligibles à la taxonomie européenne des activités vertes. Et la part alignée à la taxonomie tombe à 2 % pour le CAC 40 et 1 % pour le DAX 30.
Afin de résoudre ce problème, les acteurs de la place ont envisagé de créer un consensus sur les proxies (entités non couvertes par le NFRD, traitement des émetteurs non-européens, etc.).
2/ DATA
Assurer une couverture la plus large possible des données sur les entreprises afin de fiabiliser les indicateurs s'est avéré être un deuxième obstacle lié à l'application de la taxonomie européenne.
La capture de données comparables et de bonne qualité constitue un réel enjeu pour les gestionnaires d'actifs qui souhaitent utiliser la taxonomie de l'UE. En particulier, le manque de données pertinentes pour la taxonomie est encore plus prégnant dans le cas des PMEs et des actifs basés en dehors de l’UE. Bien que le régulateur européen reconnaisse ce problème et tente de le résoudre en imposant des obligations d'information à la partie aval de la chaîne d'investissement (par exemple en élargissant le champ d'application de la directive CSRD sur l'information non financière), la couverture reste très partielle.
Par conséquent, la collaboration avec l'ensemble des acteurs devient nécessaire, à commencer par les fournisseurs de données qui, par le biais d'un dialogue ouvert et transparent avec les émetteurs, tentent de maximiser et fiabiliser l'approvisionnement en données, et combler les lacunes en utilisant des ressources alternatives (ONG, presses, etc.). Les acteurs de la gestion d'actifs doivent également soutenir la transition sollicitant activement les émetteurs pour qu'ils publient des données exploitables. Les émetteurs peuvent à leur tour être soutenus par les fintechs, qui développent des offres de sourcing et de vérification de données adaptées aux entreprises. Enfin, à long terme, la mise en place d'un référent unique des données d'émetteurs est nécessaire ; dans le but de créer un alignement cohérent et homogène entre les différentes entreprises aux directives de la taxonomie européenne.
3/ MÉTHODES
La taxonomie européenne appelle à une plus grande transparence et lisibilité dans la communication des données extra-financières et des méthodes utilisées pour les mesurer. La profondeur de l'information relative à la taxonomie européenne fournie par les émetteurs varie considérablement, de 71 mots à plus de 10 000 mots suivant les acteurs. Toutefois, cela ne constitue pas un indicateur de la qualité de l'information en soi, car certaines entreprises décrivent la taxonomie de l'UE en détail, mais ne fournissent que des informations limitées sur leur évaluation et leurs résultats. Par conséquent, la multiplicité et l'absence de comparabilité des offres des fournisseurs de données (couverture, méthodologies / processus, liste de prix...) constituent un défi supplémentaire.
« Toute entreprise soumise à l’obligation de publier des informations non financières conformément à l’article 19 bis ou à l’article 29 bis de la directive 2013/34/UE inclut dans sa déclaration non financière ou sa déclaration non financière consolidée des informations sur la manière et la mesure dans laquelle les activités de l’entreprise sont associées à des activités économiques pouvant être considérées comme durables sur le plan environnemental au titre des articles 3 et 9 du présent règlement. »
Règlement (UE) 2020/852 du Parlement Européen et du Conseil (18 Juin 2020)
Parmi les solutions proposées par les acteurs de la place figure la co-construction des offres avec les fournisseurs de données en fonction des besoins et des priorités des clients (méthodologies, périmètre, délai de livraison, visualisation, etc.), afin d'accroître la transparence et l'efficacité de l'offre. Les gestionnaires d'actifs doivent tester différents fournisseurs de données, car aucune solution ne répond exhaustivement aux besoins de tous les acteurs. Pour que cela soit possible, il est nécessaire de garantir en amont une transparence complète des données brutes (par exemple, les secteurs, les conflits etc.) tout au long de la chaîne.
4/ MODÈLE OPÉRATIONNEL
D'un point de vue opérationnel, il est alors important de définir les solutions les plus pragmatiques compte tenu du défi que représente le court délai de mise en œuvre (janvier 2022 – date d’entrée en vigueur des divulgations d’alignement EU) et la mobilisation des ressources pour la SFDR. L'évolution de l'environnement réglementaire (actifs, seuils de performance, etc.), la complexité en termes de collecte et de gestion des données (données extra-financières, inventaires et transparence des portefeuilles) et enfin les différentes approches pour les différentes classes d'actifs sont autant d'éléments à prendre en compte.
Pour cela, les Asset Managers doivent penser leurs outils et solutions d'analyse de manière flexible et modulaire pour faire face aux évolutions anticipées du marché et articuler les calculs avec les outils métiers.
Par ailleurs, il est apparu au cours de l'échange que la mutualisation des moyens entre entités ou centres de gestion d'une même institution est une solution valable en cas d'enjeu opérationnel. Finalement, il est important d'étudier les solutions du marché pour la centralisation et la gestion des données tout au long de la chaîne.
5/ BUSINESS
Du côté des acteurs économiques, il apparait crucial de faire de la taxonomie une opportunité d'amélioration du pilotage des investissements et de l'offre de produits. Les difficultés rencontrées pour y parvenir concernent la pertinence et la précision de l'indicateur du fait de l'approche réglementaire binaire (secteurs éligibles vs. non éligibles, peu de nuances entre les activités vertes et brunes) et les risques de lobbying de certains acteurs, qui pourraient être en contradiction avec l'objectif initial de mesurer les investissements verts.
Les gestionnaires d'actifs jouent un rôle décisif pour faire de la taxonomie une opportunité en utilisant les indicateurs d'alignement comme facteur de différenciation de l'offre (méthodes, reporting client...) en priorisant les indicateurs les plus pertinents et les plus robustes, créant ainsi des indicateurs agrégés (ex : la Net Environmental Contribution).
La taxonomie constitue un pilier de la stratégie de l'UE en matière de finance durable. La qualité et l'actualisation des informations pertinentes fournies par les émetteurs sont indispensables pour que les gestionnaires d'actifs respectent les obligations qui leur incombent dans le cadre des taxonomies de l'UE. Finalement, l'amélioration des informations fournies par les entreprises permettra aux gestionnaires de portefeuille de mieux intégrer les aspects environnementaux dans leurs décisions d'investissement et dans la construction de leurs portefeuilles.
Les Tables Rondes Adamantia Adamantia organise régulièrement des rencontres avec les acteurs des marchés financiers autour d'un format "table ronde" centré sur un échange entre pairs autours de sujets d'attention commune. Partage de bonnes pratiques, échange sur les solutions / orientations / hypothèses de travail prises par les uns et les autres, autant d’éléments qui permettent à chacun de se conforter dans son approche ou encore de capitaliser sur les bonnes idées. |
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