Adamantia Research | Avril 2024
Dans un contexte mondial où l'urgence climatique dicte une refonte des modèles économiques, l'Union Européenne se positionne en pionnière avec ses objectifs ambitieux pour 2050. L'évolution vers une économie durable et responsable n'est plus une option, mais une nécessité. Au cœur de cette transformation se trouve le secteur bancaire, dont la capacité de financement et de gestion des risques devient cruciale.
Les directives CRR3 et CRD6 de la Commission Européenne sont des pas significatifs vers l'intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la stratégie des institutions financières.
D'ici 2025, chaque banque sera tenue de conformer ses pratiques à ces nouvelles exigences, marquant ainsi une étape décisive vers une gestion responsable de ces risques qui évoluent rapidement.
Les orientations sur la gestion des risques ESG, publiées pour discussion par l’EBA en janvier, établissent les standards minimums attendus, notamment en termes de méthodologies, pour une intégration efficace de ces critères.
Elles incluent également l'obligation pour les banques de formaliser des plans d'ajustement prudentiels alignés sur les engagements environnementaux internationaux. Ces plans d’ajustement, complémentaires de la CSRD, doivent être un élément essentiel du dispositif des banques pour assurer une transition fluide et efficace vers une économie durable.
Cette transition n'est pas sans défis. Elle requiert une transformation profonde de la gestion des risques, impliquant une mobilisation transversale des différents métiers et fonctions autour d'une stratégie claire. Le succès de cette mutation repose sur une culture d'entreprise pragmatique et une organisation projet privilégiant l'alliance de l'expertise à l'intelligence collective.
Une évolution rapide du dispositif prudentiel
Dès 2020, la BCE, en tant que superviseur, a impulsé la transformation des banques en exigeant des institutions financières significatives qu'elles intègrent les risques environnementaux, et en particulier climatiques, dans leur stratégie, leur gouvernance et la gestion de leurs risques.
Depuis, de nombreuses initiatives ont été lancées par la BCE, l'EBA et les banques elles-mêmes pour mettre en œuvre et s'adapter au défi de la maîtrise de ces risques : taxonomie, publications de nouvelles données et évolution du pilier 3, analyse des mécanismes de transmission, stress tests climatiques, recommandations sur le pilier 1, etc.
Aujourd'hui, avec l'ajout de nouvelles attentes dans la réglementation CRR3 et la directive CRD6, la gestion des risques ESG est intégrée dans le cadre prudentiel.
Mandatée par la commission européenne, l’EBA a publié pour consultation en janvier 2024 des orientations qui définissent les standards minimums et documentent les références méthodologiques.
Déjà de nombreuses réalisations dans la prise en compte des enjeux ESG par les banques
Les banques ont déjà réalisé des progrès significatifs dans l'intégration des enjeux ESG dans leurs pratiques, avec le lancement depuis 2020 de programmes de transformation majeurs, gérés au plus haut niveau des organisations. Ces avancées sont importantes, compte tenu de l'ampleur des défis posés par la transition vers une économie durable.
Les travaux menés au cours des trois dernières années ont permis d'avancer rapidement sur toutes les dimensions des attentes exprimées par la BCE en 2020.
Les risques ESG, qu'ils soient physiques ou liés à la transition, sont progressivement intégrés dans les processus d'octroi et d'analyse de crédit, d'abord pour les grandes entreprises, puis progressivement pour les PME et autres institutions financières.
En termes de modélisation des risques climatiques, avec en 2022 l’exercice de S/T de la BCE et l’inclusion dans l’ICAAP de scénarios climatiques.
Ces progrès se traduisent également par l'enrichissement des taxonomies des risques et l'identification accrue des risques, notamment à travers l'utilisation de heatmaps sectorielles.
En outre, des efforts significatifs ont été déployés dans le développement de nouveaux outils pour la gestion du risque de marché, bien qu’il reste difficile d’en mesurer les impacts.
Des défis à surmonter dans un contexte réglementaire en évolution
Malgré ces avancées notables, les banques sont toujours confrontées à de multiples défis et à une pression réglementaire très forte, avec des menaces explicites de pénalités si les évolutions devaient être trop lentes ou incomplètes.
Ainsi, dans ses revues publiées en 2022 et 2023, la BCE estimait que globalement les banques étaient encore loin d’une mise en œuvre aboutie des principes de 2020 : mises en œuvre non homogènes et encore partielles, dispositifs ne couvrant pas nécessairement les portefeuilles les plus risqués ou encore une insertion opérationnelle insuffisante.
Or, un certain nombre des enjeux auxquels font face les banques ne sont pas propres à chaque institution ou à la seule industrie bancaire. Contrairement à ce qui existe sur d’autres enjeux prudentiels, les calculs de RWA (Risk-Weighted Assets) par exemple, le cadre de référence méthodologique reste limité à quelques orientations. Il peut alors être difficile pour les institutions financières d’agir et de démontrer la robustesse de leurs dispositifs.
De même, si les banques sont bien engagées dans la publication de données granulaires, la disponibilité et la fiabilité des données restent un problème majeur. Là encore, l’absence d’orientations, limite la comparabilité entre banques et fragilise la perception de transparence.
La mesure du risque physique est un autre exemple d’enjeu devant être abordé de manière systémique. En effet, la quantification du risque pour les banques est largement dépendante des hypothèses qui peuvent être faites en matière d’assurabilité des risques. Aujourd’hui, cette problématique n’est pas posée de manière globale. L’exercice « Fit-for-55 » mené par les Autorités de Supervisions Européennes (ESA) devrait permettre de mieux qualifier le sujet.
Dans ses orientations publiées pour consultation, l'EBA précise quelques éléments de standardisation et de référence mais ceux-ci restent très limités au regard des difficultés rencontrées opérationnellement.
Des orientations sur la gestion des risques ESG publiées pour consultation en janvier 2024
Ces orientations précisent et élargissent à l’ensemble des banques les exigences en matière de gestion des risques ESG. Dans leur forme actuelle, il est attendu de toute institution :
Évaluation régulière de la matérialité des risques ESG : les institutions financières doivent effectuer une évaluation au moins une fois par an, tous les 2 ans pour les institutions les moins significatives et complexes, de la matérialité des risques ESG sur leur activité et l’ensemble de leurs risques financiers « traditionnels ». Cette analyse, menée sur des horizons de temps variés, doit être cohérente avec et intégrée à la taxonomie des risques réalisée dans le cadre de l’ICAAP. Une documentation complète, décrivant notamment les méthodologies, devra être intégrée à l’ICAAP.
Collecte et gestion des données : des systèmes robustes de collecte et d’agrégation des données relatives aux risques ESG doivent être mis en œuvre, en conformité avec les standards déjà en œuvre dans chaque institution. La collecte, la structuration et l'analyse des données ESG doit être intégrée dans les procédures internes, y compris les mesures de collecte directe auprès de leurs clients. Si les orientations précisent les informations attendues pour les contreparties les plus significatives, celles-ci doivent être comprises comme une cible pour l’ensemble des clients et actifs.
Mesure et principes d'évaluation : les institutions doivent disposer d'outils robustes pour identifier, cartographier, mesurer et gérer les risques ESG.
De pouvoir utiliser une combinaison de trois approches méthodologiques pour mesurer et piloter de manière globale leurs risques : approche par transaction (« exposure-based »), une approche par portefeuille (« portfolio-based ») et une approche par simulation (« scenario-based »)
Gestion et surveillance des risques ESG : les institutions sont tenues d'intégrer les risques ESG dans toutes les dimensions de leur cadre global de gestion des risques en prenant en compte des horizons temporels variés. Un enrichissement de ce dispositif doit être envisagé afin de mieux gérer les nouveaux enjeux.
Données : les orientations sont particulièrement prescriptives afin d’établir un dispositif de reporting interne efficace avec des seuils d'alerte précoce et un renforcement de la surveillance continue.
Documentation d’un plan de transition « prudentiel » : le plan de transition « prudentiel », référencé dans la CSRD, a pour objectif de décrire l’impact que devrait avoir la mise en œuvre des engagements de l’UE, et des autres institutions internationales, sur l’activité de la banque et son profil de risque prudentiel, ainsi que les moyens à mettre en œuvre pour s’adapter à cette transition. L’enjeu serait de mesurer les risques liés à cet alignement et de démontrer leur bonne gestion. Dans la version actuelle des orientations, cette exigence pose encore un grand nombre de questions, notamment quant à l’articulation avec les autres obligations de documentation, telles que dans la CSRD ou la CS3D.
Les enjeux de la mise en œuvre de la gestion des risques climatiques au sein des établissements bancaires
L’intégration des critères ESG dans l’ensemble de la gestion des risques des banques est une transformation profonde et complexe mais nécessaire au regard de la réalité de la montée en puissance de ces risques.
Elle nécessite une mobilisation de l’ensemble des métiers et fonctions, organisés autour d’une stratégie claire impulsée du plus haut niveau de l’organisation, et un état d’esprit résolument pragmatique tourné vers l’insertion opérationnelle dans l’ensemble des processus existants.
Une organisation de projet structurée autour de l’alliance de l’expertise et des pratiques d’intelligence collective sera essentielle à la réussite de cette transformation
Mobilisation dès le lancement du projet de tous les contributeurs: RSE, Finance, Risques, IT, Data, métiers, conformité, juridique …
Mise en place d’une veille réglementaire approfondie, largement partagée, et apportant de la mise en perspective face à de la réglementation qui s’enrichit vite et des publications spécialisées nombreuses
Transparence sur le ROI des projets : la mise en avant des bénéfices extra-financiers peut assurer un buy-in de long terme. Des KPIs non financiers peuvent servir de repères
Documentation, et mise en œuvre des principes de gouvernance autour de la donnée, des processus et des méthodologies systématiques. Le nouveau dispositif sera certainement audité, et plutôt rapidement que tardivement
Engagement profond dans le processus de changement, articulé autour de 4 axes principaux : Acculturation, Formation, Vision globale partagée, et Communication régulière transparente.
Cette démarche est cruciale pour dépasser les obstacles à l'implémentation. L'adoption de méthodes d'intelligence collective jouera un rôle clé dans :
L'identification des obstacles et des catalyseurs pour une transformation en profondeur et une intégration opérationnelle fluide
La sensibilisation à l'urgence d'agir rapidement, en prenant en compte l'addition de cette charge aux missions existantes des équipes opérationnelles
La mobilisation des acteurs engagés et mobilisables, en s'appuyant sur la quête de sens. Ces enjeux sont des moteurs puissants pour une majorité de collaborateurs
Ce cadre stratégique permettra aux banques de répondre aux défis posés par la transition écologique, en cultivant une culture d'entreprise agile et résiliente, prête à s'adapter et à innover face à ces impératifs environnementaux.
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Vos contacts :
Aleth De Crouy-Chanel
Olivier Pouvreau
Salma Berrada
Meriem Cherif
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