Adamantia Research Institute
Londres perd son marché des actions européennes
Impact immédiat du Brexit : le premier jour de trading de Janvier marque le transfert quasi-total des transactions sur les actions européennes de Londres vers l’Europe continentale, soit les 30% des volumes européens que la City s’était appropriée. Conséquence directe de la « share trading obligation[1] » imposée par l’autorité européenne des marchés financiers (ESMA), qui interdit aux entreprises d’investissement de l’UE de traiter les actions européennes sur les plateformes de négociation britanniques.
Les trois principaux MTFs Londoniens, qui avaient anticipé en installant une filiale à Amsterdam (pour CBOE Europe et Turquoise) et Paris (pour Aquis Exchange), récupèrent ces volumes dans leurs nouvelles implantations Européennes.
Un coup dur pour la City qui perd son marché sur les actions européennes, les acteurs non européens ayant suivi le mouvement vers ces nouveaux pools de liquidité.
Le marché des dérivés au centre des attentions
Mais c’est surtout le marché des dérivés, jusqu’alors largement concentré sur la place de Londres, qui est au centre des attentions. Pour cause l’enjeu que représente ce marché pour l’Europe, à la fois sur le plan économique que sur le plan de la souveraineté Européenne. Peut-on laisser ce marché s’opérer hors du continent aux vues des risques systémiques qu’il fait peser sur le système financier Européen ? Pas sans conditions. L’objectif des pouvoirs politiques est de doter l’Europe d’infrastructures en propre sur les produits financiers libellés en euro, tout en assurant le bon fonctionnement du marché. Un challenge de taille, compte tenu de la situation de quasi-monopole de la place Londonienne qui rend impossible un transfert massif de cette liquidité vers l’Europe à court terme.
La compensation londonienne sauvegardée ?
Les activités de compensation de dérivés en euro à Londres – en ligne de mire dans le débat – pourraient profiter d’un statu quo pendant un temps encore. En effet les chambres de compensation (‘CCP’) britanniques disposent d’un sursis de 18 mois d’équivalence provisoire jusqu’à juin 2022 accordé par le régulateur Européen qui leur permet de continuer leurs activités depuis Londres. Cela afin de parer aux risques pour la stabilité financière, faute d’autre solution actionnable à court terme.
Le régulateur Européen travaille en parallèle sur un régime d’équivalence plus exigeant, notamment envers les infrastructures dites systémiques incluant LCH SwapClear sur les dérivés de taux (‘IRS’) et ICE Clear sur les dérivés de crédit (‘CDS’). Avec la possibilité d’imposer une relocalisation de ces activités sur le continent si les conditions d’équivalence ne sont pas réunies.
Une opportunité donc à terme pour les alternatives Européennes qui tentent de se faire une place, à l’instar d’Eurex Clearing du groupe Deutsche Börse, qui propose un service de compensation des dérivés de taux libellés en euro, et LCH SA en France, qui compense les dérivés de crédits (CDS) via sa filiale CDSClear et qui pourrait profiter de l’infrastructure de son cousin britannique SwapClear pour développer une offre sur les dérivés de taux libellés en euro.
La question étant de savoir si le régulateur européen pourra dans les faits exercer son pouvoir et imposer cette relocalisation si la volonté du marché est de rester à Londres. Les conséquences pour les acteurs européens, alors privés de la liquidité de la City pouvant s’avérer désastreuses.
Le trading des dérivés en porte-à-faux
Le bras de fer à court terme concerne le trading des dérivés, contraint par les mesures réciproques de « Derivatives Trading Obligations » (‘DTO’) [2] imposées respectivement par l’ESMA pour les entreprises d’investissement Européennes et par la Financial Conduct Authoriry (FCA) pour leurs homologues britanniques.
Sauf à trouver un terrain d’entente sur le sujet dans le protocole d’accord visé par Londres et
Bruxelles pour le 31 Mars prochain, le cadre des DTO EU et UK pourraient engendrer des changements profonds sur le marché de dérivés. Et le temps presse. Un cadre réglementaire trop contraignant entre l’Europe et la Grande Bretagne pourrait pousser les acteurs de marché à se tourner vers d’autres places d’échange bénéficiant de l’équivalence, en premier lieu les États-Unis, et ainsi détourner la liquidité outre atlantique. Avec pour conséquences un transfert de la compensation de ces dérivés vers les CCP directement connectées aux plateformes de négociation américaines… au détriment à la fois de Londres et de l’Europe.
Une tâche ardue pour le régulateur
En tout état de cause, le régulateur Européen va devoir faire des choix et des concessions pour assurer l’avenir du marché Européen des dérivés en conciliant à la fois l’intégrité et l’efficience du marché dans l’intérêt des investisseurs tout en préservant sa souveraineté sur son marché. A suivre la possible évolution des équivalences réciproques qui seront discutées d’ici fin Mars entre l’Union Européenne et la Grande Bretagne…
Antoine Pertriaux | Adamantia Research Institute
[1] La « share trading obligation (STO) » impose aux acteurs européens de traiter les actions européennes sur les marchés européens ou sur les marchés ayant reçu l’équivalence européenne, excluant de fait la possibilité d’utiliser les plateformes londoniennes.
[2] Dans le même esprit que la « share trading obligation », la « derivatives trading obligation (DTO) » impose aux acteurs européens de traiter les dérivés éligibles à la compensation sur les marchés européens ou sur les marchés ayant reçu l’équivalence européenne.
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